"La radio apparaît à nos contemporains sous toutes sortes d'aspects,
en général anecdotiques et extérieurs , alors qu'elle est, pour l'essentiel,
une relation. C'est peut-être la première fois , parmi tous les moyens
d'expression, qu'une conjonction aussi intense s'établit entre deux termes
aussi irréductibles : le cours torrentueux du temps à travers tout l'espace, et
la durée comme figée d'une conscience immobile. Préalablement à toute esthétique,
à toute technique de la radio, il nous faut donc redécouvrir, comme si nous
l'apercevions pour la première fois, le phénomène radiophonique". Ainsi
s'ouvraient, en 1944, les Notes sur l'expression radiophonique de P. Schaeffer,
par quoi nous devons commencer, parce que ces notes ouvraient la voie d'une
théorie de la technique radiophonique qui n'a guère trouvé de successeurs.
Le premier est que, de tous les travaux consacrés à la radio, les
recherches historiques sont de loin dominantes, comme si ce média appartenait
déjà au passé. Le second constat est que les travaux sur la radio ont mis en
évidence des questions qui, plus tard, ont été beaucoup plus explorées à la
T.V. qui les rendait plus visibles ou plus sensibles . Le troisième
constat est que, hormis quelques rares exceptions (thèse de J-L. Alibert sur France Musique, par exemple), c'est l'information qui suscite le plus
d'interrogations alors que, en dehors de la tranche horaire 6h-9h, ce sont
d'autres contenus, et, notamment, mille et une formes de musique et de
divertissement qui alimentent les grilles de programme, et qui sont bien peu
analysées.
Ces constats conduisent à formuler quelques hypothèses.
A ses débuts, la radio a suscité une réflexion juridique soutenue, dès les
années 30 et après la Libération. Mais, contrairement à ce qui s'est passé
beaucoup plus tôt aux États Unis, il faut attendre en France les années 60, et
le CECMAS, pour que la recherche s'organise sur ce qu'on commence à appeler les
"Mass media" ; or, en leur sein, c'est la T.V. qui constitue le
phénomène émergent le plus massif. C'est donc le triangle Presse-Cinéma-T.V.
qui a constitué l'objet majeur des recherches naissantes, la radio étant
laissée dans l'ombre, du fait peut-être que son apparent pluralisme l'opposait
fortement à la télévision monolithique de l'époque. Par la suite, la T.V.
semble avoir tiré parti de ce qui avait d'abord été initié à la radio. Ainsi,
la libéralisation de l'audio-visuel, en 1982 et, peu après, la
convergence des techniques a fait la part belle à la TV, mais
fort peu à la radio.
A côté des recherches sur l'image, à côté des études de presse ou de
publicité où la sémiologie s'affirmait dans les années 70, le questionnement
sur le son radiophonique et la forme radiophonique en général, dont l'enjeu
commercial est brusquement apparu après 82, ne suscite guère que l'inquiétude
des juristes (Regourd, 1992). Il y a là une sorte d'énigme qu'on peut tenter de
résoudre un peu. L'invention radiophonique très forte des débuts (cf. Mare Moto de Germinet, en 1924) puis des années 30 n'a laissé que peu d'archives (les
disques étant souvent regravés), alors que le cinéma, malgré beaucoup de
pertes, a conservé d'assez nombreuses copies. Premier obstacle donc, ou
première explication : une esthétique de la radio est très difficile parce que
largement privée d'objet.
Enfin, contrairement à la tradition anglo-saxonne des cultural studies, les études françaises se sont largement désintéressées de
la culture populaire. On le voit aussi bien au faible nombre de travaux sur la
presse populaire que sur celle des loisirs les plus répandus, malgré des études
d'autant plus remarquables qu'elles sont plus rares (D.Pasquier, D.Cardon, E.
Maigret, inRéseaux n° 70, 1995, E. Macé sur les jeux
télévisés, etc. ). Il existe donc de grandes monographies sur RTL ou Europe 1, mais rien à peu près sur RNJ, Rires et chansons ouNostalgie. Parce qu'à défaut d'une approche esthétique de la radio, l'approche
anthropologique de la radio est encore à peu près inexistante. L'écoute
"populaire" est peu valorisée, malgré l'expérience des années
50 : Signé Furax, sur Paris-Inter, puis Europe 1, La famille Duraton sur Radio-Luxembourg, ou Ca va bouillir avec Zappy Max.. La radio comme
lieu anthropologique (M.Augé, 1992), c'est à dire un espace
identitaire, relationnel et historique, a
été bien peu examiné.
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